Langue maternelle et langue étrangère

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APSI Bilinguisme

di CINZIA CROSALI

La question de la langue étrangère et de la langue « dite » maternelle est souvent au premier plan dans les rencontres avec les patients italiens qui s’adressent au Service psychologique de l’Association Italienne pour laquelle je travaille. J’ai choisi un cas clinique, qui me semble clairement montrer l’impact de la langue sur le corps.  A travers l’étrangeté de la langue française en tant que langue étrangère ce cas me semble montrer de façon exemplaire le rapport original du parletre à la langue qui est toujours traumatique.  

Il m’a semblé que son discours rendait assez bien compte de ce nous appelons « la marque de la langue sur le vivant ».

L’invasion de la langue

 Il s’agit d’une dame de quarante ans, que je nomme Clara. Au moment de nos rencontres elle se trouvait en France depuis trois ans pour suivre le mari en déplacement de travail.  Le couple vivait à Paris avec leur enfant de dix ans.  Clara avait abandonné sans trop de regrets son travail en Italie et elle s’occupait de son fils et de l’organisation de la famille. Elle avait consulté le Service psychologique sous prétexte d’un mal-être qu’elle définissait « dépression » et pour des difficultés de relations avec les autres. Elle s’est décidée à consulter parce qu’elle savait que, dans notre Service, elle pouvait parler en italien.  En effet, la question de la langue française et sa difficulté à la parler étaient au centre des ses préoccupations.

Au moment de la consultation Clara considère que depuis trois ans de vie en France elle devrait parler beaucoup mieux en français et elle se plaint de ne pas arriver à avoir une maîtrise de la langue française.

Cette situation la déprime, elle se sent « nulle, inadéquate, incapable ».  

Elle décrit avec précision son rapport conflictuel avec cette langue étrangère qu’est le français. D’un côté elle voudrait l’intérioriser de l’autre côté elle « résiste » à quelque chose qui est ressenti comme une invasion. Un jour elle dira :

« Je sens la langue française m’envahir, m’occuper, gagner du terrain en moi. J’ai du mal à céder à cette transformation ». C’est sur ces mots que ce jour là j’avais arrêté la séance.

A travers son expérience de la langue étrangère Clara dit son rapport à la langue, la langue tout court. C’est la langue qui, même quand elle est maternelle, est « étrangère » au sujet, elle est « autre », elle est de l’Autre.

Dans une autre séance, Clara peut dire comment fonctionne ce : « gagner du terrain » de la langue française :

« Des fois, des phrases entières sortent de ma bouche, avant que je les organise,… j’entends ces chaînes sonores en français, j’en suis mois-même surprise ».

Ce qui la surprend c’est d’entendre ces « chaînes sonores » sortir de sa bouche sans qu’elle puisse en avoir une maîtrise complète. Elle considère que, par exemple, elle ne pourrait pas les écrire, qu’elle ne pourrait pas (j’utilise ses mots) « les segmenter en unités discrètes, en paroles séparés », capacité qui est pour elle la preuve de la maîtrise d’une langue. Faute de cette maîtrise, préalable à la parole, elle se trouve en défaut, comme dans une illégalité. Elle dira :

« C’est comme si j’utilisais la voiture sans en avoir le permis ».

Enoncé que j’ai considéré digne d’être souligné par la coupure de la séance.

« Voiture » est dit en italien avec le mot : « macchina », « machine » ; la langue est donc ici assimilé à une machine qui roule malgré le sujet, malgré le permis dont le sujet voudrait être muni, mais qu’il n’a pas.

Dans une autre occasion elle dira :

« Ce n’est pas moi qui parle le français, c’est le français qui parle en moi » … « c’est comme si j’étais parlée par le français ». J’ai trouvé cette formule formidable.

Grâce à son rapport à la langue française, Clara touche du doigt la position du sujet marqué par le signifiant, elle témoigne du traumatisme originel de la langue sur le vivant.  Elle peut le dire comme ça parce que c’est la matérialité même de la langue, qui l’interroge. Ce n’est pas le sens qui l’embarrasse, c’est le pur signifiant ; un signifiant qui, en tant qu’étranger, se présente encore plus dégagé de sens et il montre la matière dont il est fait.

Dans son article : « des langues et des discours », Annick Relier souligne l’effet déstabilisant de la langue étrangère. Elle écrit : « Il y a les langues qui nous sont étrangères et qui nous confrontent à la traduction et à ce point de hors sens ».  

C’est grâce à la langue étrangère que Clara peut comprendre que parler a été pour elle toujours une difficulté, même dans la langue maternelle, même en italien.  Par contre elle est à l’aise dans l’écriture.  Là elle retrouve une sorte d’illusion de maîtrise sur la langue. A l’écrit elle a l’impression de plier la langue à sa guise, elle a le temps de ne pas se laisser surprendre.

Après la séance du :« permis de conduire la machine linguistique » une série de souvenirs d’enfance revient à sa mémoire.  Elle se rappelle de la souffrance éprouvée enfant et surtout adolescente à cause de ses silences, de ses manques de mots, de son incapacité à  converser comme les autres. Par contre, son habilité dans l’écriture lui valut à l’école considération et éloges, mais cela faisait contraste avec sa rigidité verbale à l’oral.

Elle dira : « C’était la voix qui me faisait défaut … Ma voix, écoutée par l’autre, me troublait ». Elle se souviendra de toutes les déclinations de sa voix empêchée : « Une voix cassée, une voix qui tremble, une voix trop basse, une voix faible ».       

Dans un souvenir d’adolescence il est question d’une scène où elle doit lire en classe à voix haute, elle commence à lire et bientôt sa voix se casse, elle entend sa voix trembler, comme si elle pleurait, elle ne peut rien faire pour reprendre le contrôle. Consciente que toute la classe l’écoute et la regarde, elle se sent envahie par la honte, mais continue à lire sans pouvoir ni maîtriser, ni contrôler sa voix.   A partir de ce jour là elle s’est toujours arrangée pour ne plus lire en public.

Difficulté à parler, manque de maîtrise sur la voix, inhibition à s’adresser aux autres, entendre l’étrangeté de sa propre voix, être saisie par une sensation de rigidité et d’empêchement quand il s’agit de prendre la parole : ces anciens symptômes trouvent aujourd’hui une nouvelle réédition dans l’impact avec la langue étrangère.

« Je ne sais pas parler » c’est l’énonciation qui représente ce sujet. Une des variations est :« je n’ai rien à dire ». Dans cette formulation « le dire » est placé du côté de l’avoir, comme il l’était pour le « permis ». (Avoir ou ne pas avoir le permis de conduire). C’est la façon particulière de ce sujet de se rapporter au manque, de se confronter à la castration.

Les rencontres avec Clara n’ont pas été très nombreuses et elles se sont interrompues par le départ de la famille, qui est rentrée en Italie pour une nouvelle mutation du mari.  Même dans sa brièveté, il m’a paru intéressant de reprendre ce cas qui m’a suscité plusieurs interrogations :

Le premier point de réflexion c’est autour de la « maîtrise » de la langue. Le sujet s’aperçoit de ne pas être lui même le Maître de la langue : ses mots ne sortent pas comme et quand il le veut. Clara voudrait posséder les mots, les segmenter en unités. Je trouve la formulation « je ne sais pas segmenter la phrase en unités discrètes » très parlante parce qu’elle rend compte de l’effet de la chaîne signifiante sur le sujet. C’est seulement dans une chaîne signifiante que les mots prennent leur pouvoir métonymiques et métaphorique. La supposition de pouvoir séparer les mots l’un de l’autre c’est une tentative de s’opposer à la fuite métonymique du sens ; c’est une illusion de pouvoir arrêter cette fuite et de nier aussi la rencontre traumatique avec le réel de la langue.   La parole du sujet trébuche, se casse, ou elle est empêchée chaque fois que le sujet refuse de se confronter au risque que comporte le fait de parler, c’est-à-dire chaque fois que le sujet veut se libérer des effets de malentendus, de surprises, de l’inattendu de son propre dire.   

La particularité de Clara c’est qu’elle doit passer par l’expérience de la langue étrangère, pour pouvoir rendre compte du mécanisme qui la concerne.   

Présence charnelle de l’Autre

Le deuxième point de réflexion est autour de l’écart entre le rapport du sujet à la langue écrite et celui à la langue orale.

Le point brûlant de Clara c’est la voix. En italien, c’est à dire dans sa langue maternelle, elle est à l’aise dans l’écriture.  Cette prétendue maîtrise ne la met pas à l’abri de symptômes d’inhibition lors de l’expression orale.  La parole écrite n’est pas la parole parlée. Cette dernière met en scène le corps et la relation à l’autre de façon plus complexe. Il est question du regard et de la voix. (Deux objets pulsionnels) Dans la voix, la parole, le verbe, est incarné. Si dans l’écriture ce sujet a l’illusion d’apprivoiser, d’amadouer la pulsion, dans la voix, par contre, il y a pour ce sujet un trop de jouissance, un trop du réel du corps, un reste qui n’est pas réductible. Et c’est justement avec ce reste que le sujet n’arrive pas à s’accommoder.

En particulier, une langue étrangère difficile à écrire, (le français à la différence de l’italien ne s’écrit en phonétique), c’est une langue qui échappe encore plus aux tentatives de contrôle réducteur du sujet.   La langue étrangère, avec sa sonorité « autre », véhicule une partie de non-sens qui échappe au mirage du contrôle total du sujet.

L’objet voix se présente dans ce cas comme l’objet (a) irréductible au calcul et aux prévisions, cet objet est le reste autour duquel tourne la problématique de cette patiente.  Un objet en perte, (perdre la voix, perdre le contrôle de la voix), un objet pulsionnel, qui mobilise le plus intime du sujet.

La possibilité d’en parler en séance a permis à Clara de retrouver beaucoup de souvenirs refoulés et de commencer à travailler autour d’une problématique oedipienne jamais élaborée auparavant et qui a déplacé le problème et ouvert plusieurs possibilités de travail analytique. Elle était décidée en rentrant en Italie, d’entreprendre une analyse et d’avancer dans son parcours de recherche pour approfondir une problématique majeure : celle de la « séparation » d’avec la mère d’abord, et d’avec d’autres partenaires affectifs par la suite.

C’est en effet la « séparation » ce qui permet de venir au but de cette traversée dans la langue et entre les langues.

La séparation est toujours en jeu dans l’acte de parole : pour parler il faut se séparer d’une certaine jouissance, il faut que le sujet consente d’être marqué par la barre du signifiant.   La « machine » de la langue étrangère ne fait qu’accentuer le même mécanisme. C’est autour de ce consentement que tourne la problématique de Clara. C’est la difficulté du sujet de consentir au fait que la langue étrangère « gagne du terrain », la difficulté d’accepter « d’être parlé par la langue ».


  1.  Neologismo di Jacques Lacan pour indicare l’essere parlante.
  2.  Relier Annick, « Des langues et des discours » in  HORIZON  n°31.  Mars 2003, Ecole de la cause freudienne. Page 3

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